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Dix mois a été écrit principalement à Genève et à Rabat. Composé d'une série de textes de forme libre ou de poèmes en prose, il entraîne le lecteur, au fil des mois, sur un chemin long et tortueux, fait  de blessures et de guérisons, d'Afrique et d'Europe, d'appels et d'oubli.

Extraits.

 

Dix mois

une femme se dresse pour cueillir une mangue et je noie un chien dans la baignoire, l'odeur me colle aux doigts pendant des jours, et l'image de ses yeux

 

l'image de la détresse couchée sur un lit, elle s'était attachée à moi, je suis plein de promesses, je sais que je mens

l'amour est fait de sueur et de silences

il n'y a pas de différence entre une femme et moi, il n'y a pas de femme dans ma différence

il y a longtemps qu'il n'y a plus d'eau, je me mouille un peu la nuit avec une théière, je me suis savonné il y a quatre mois

je sais que je suis malade

 

j'ai planifié la trahison, tout mis en place, tout joué, tout menti, et j'ai eu peur à mon tour quand elle mentait ou qu'elle voulait rester ou qu'elle voulait partir son balluchon sur la tête à pied dans la ville, qu'elle passait la grille et qu'elle revenait le soir pour demander l'asile, pour exiger l'asile

 

quand elle me disait Je t'aime, je la serrais contre moi pour lui dire Mais non, ce n'est rien, ça passera, ne t'inquiète pas

 

l'amour la submergeait d'urgences, et elle mettait toute sa patience, toute sa malice à m'attirer vers elle, et lentement j'avançais, je basculais, je faisais ma métamorphose et je faisais mes plans

tu joues avec moi, je joue avec toi, mais mon jeu est cruel

 

nous sommes au bord de la piscine, elle est vide, nous regardons quelques crapauds qui sèchent là, personne ne bouge, nous les arrosons, ça fait un bruit de parchemin, ça résonne dans la piscine, ils ne bougent pas, c'est le peu d'eau qui nous reste

nous sommes au bord de la piscine assis sur des coussins

la piscine est pleine, elle s'évapore lentement, l'eau est devenue verte

j'attrape des têtards avec une passoire, il y en a des milliers, je les mets dans un bol, ils tournent, ils tournent, et je les jette dans l'eau

il fait chaud

 

le vent nous exténue, il y a du sable partout, ses cheveux sont bruns de sable, les miens sont gris

les parasites me rendent la peau chaque jour un peu plus grise

elle ne remarque rien, ni mes yeux ni ma peau, elle me dit de manger, elle se fait des lavements

je vais mieux déjà, je suis maigre et gris mais je vais mieux, la sueur me fait briller la peau

 

(...)

 

Juin

 

(...)

 

pour obtenir d'autres aveux

que d'autres choses nous viennent à la bouche que notre bouche apprenne d'autres salives

que d'autres goûts soient faits d'autres odeurs et d'autres images d'autres traits et que tout redevienne nouveau

que tout redevienne espoir et jeunesse et sexe ouvert sur tout ce qui a sexe et que tu redeviennes toi et moi, qu'ensemble nous soyons toi, souvenirs et fuites soirées en tailleur amour sans mot d'amour

que nous soyons amour sans mot d'amour

 

(...)

 

Octobre

 

(...)

 

ciel singe eczéma sauvé

ciel suite insane grattage cerveau caduc

serf de mon serf

choses qui se décident et s'oublient

l'eczéma gratter gratter entre les draps, se réveille de nuit grattant grattant des ongles et se retourne se glisse la main entre les cuisses et se rendort et ça recommence

quelques minutes grattage à nouveau se réveille encore, se place au milieu des rêves et n'oublie plus rien

songe de Rabat, ce que j'ai décidé

pleine nuit cette odeur le poursuit encore, et l'allergie aux draps et cette douleur dans l'aine, les bulbes qui croissent, la toux, le souffle pris, ne craignant plus de mourir, prêt à tout ce soir s'il le faut, ce soir si je pouvais le vouloir

se retourne et s'endort encore

songe de Rabat, le singe qui se pend à mon épaule et de ses bras trop longs balance, balance en criant

l'autre vient, plus grand ce soir, plus noir encore, se penche sur nous le rouge au visage et je dis que non

je réponds non à toutes les choses qu'on me dit

un chien qui crie aussi, un passant peut-être dans une rue voisine, je ne peux plus, je décide alors qu'il est temps de fuir, je comprends alors qu'il faut autre chose à l'avenir, que la fin sera un centre, je ne peux plus, la chose noire se penche sur moi, il y a des reproches qui bavent, il y a de la fureur

c'est mon indifférence à la fin qui va gagner je le sais

le dard qui se penche sur moi, mon propre dard

serf de mon serf

se retourne et s'endort encore

ces seules choses de la nuit, le rêve oublié, quelque chose qui descend lentement vers sa fin, je le sais

tout ce que je sais, tout ce que je sais

ce que je crois savoir

maintenant qu'il est clair qu'elle ne viendra plus

 

(...)

 

Décembre

 

(...)

 

Passionnément repue sans l'ombre d'un souvenir. Elle me regarde et je sais qu'elle me voit. Elle jaunit peu à peu dans la moiteur des draps; je crois qu'elle se modèle à la chair sans image.

 

Il y a des hôtels de folie, des rideaux bruns et jaunes, je sais qu'ils sont bruns, je sais qu'ils sont jaunes, je sais où et je sais quand, je ne crois plus: je sais.

 

Et la nuit nous veut grands, le sang nous veut noir et le noir nous veut nacre luisant au soleil. Et le soleil aussi nous veut quelque chose.

 

L'anisette qui coule.

Les instants que je voudrais cachés, les instants qui renaissent et murmurent et m'abaissent.

Et le temps qui n'efface rien.

La brume.

Il y avait la brume ici et ailleurs le soleil au-delà du froid et il y avait les gens que nous étions alors, l'avenir de fuir au sud, les phrases où manque le verbe, le verbe où tout nous manque et le fait que l'avenir à nouveau nous ait pris dos à dos, redéchirés, reséparés, resacrifiés.

L'heure du soir est l'heure du conte, le matin l'heure du poème.

Et mes jours sont faits d'ivoires et de satins, mes matins d'ivoire et mes soirs de matin - et tout de qui chante était autant d'injures et les injures comme des intrigues, et les intrigues au matin bleu ma mère

Oublie, oublie.

M'a lâché, je sais, je pleure.

Et sois en moi comme une éternité qui m'ait fait mal, oui mal, j'ai déjà dit: comme la mort qui monte. Je sais tu sais. Encore une fois un peu d'avenir de cassé, un jeu de folies à rideaux bruns et jaunes où tu roulais repue pour moi, et je ne sais plus de quoi je pleure.

 

(...)  

[Buy Opera!]

 

 

 

 

Copyright © Olivier Somosterre 2003-2006