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Dialogue à deux voix, dont l'une connaît la règle du jeu et l'autre ne parvient pas à la deviner.

Phobos et Deimos (la Peur et l'Épouvante, serviteurs de Zeus) sont les deux satellites de la planète Mars.

 

 

Le chant de la licorne

Deimos : — Maman, c'est vrai qu’il n’y a pas de licornes ?

Phobos : — Pardon ?

Deimos : — (Un temps.) Maman, c’est vrai qu’il n’y a pas de licornes ?

Phobos : — (Un temps.) C’est absurde.

Deimos : — Maman, c’est vrai qu’il n’y a pas de licornes ?

Phobos : — Arrête, s’il te plaît.

Deimos : — Maman, c’est vrai qu’il n’y a pas de licornes ?

Phobos : — Qu’est-ce qui tu prends de m’appeler Maman ?

Deimos : — Ça ne te plaît pas.

Phobos : — Pas vraiment, non.

Deimos : — Pourquoi ?

Phobos : — Enfin… Ça va de soi, non ?

Deimos : — Je ne trouve pas.

Phobos : — (Un temps.) Tu ne trouves pas. (Un temps.) Parce que tu m’as demandé mon avis, peut-être ?

Deimos : — Et toi, est-ce que tu m’as demandé mon avis pour me mettre au monde ?

Phobos : — Arrête, c'est aberrant.

Deimos : — Je ne comprends pas pourquoi tu le prends comme ça. Il n’y a pas de quoi s’énerver.

Phobos : — Si, un peu tout de même. Non ?

Deimos : — Alors explique-moi, parce que moi…

Phobos : — Quoi, parce que moi… ?

Deimos : — Explique-moi calmement.

Phobos : — Je ne suis pas ta maman, voilà.

Deimos : — Ben, évidemment.

Phobos : — Alors, pourquoi tu m’appelles…

Deimos : — Mais c'est un jeu, bien sûr.

Phobos : — Un jeu.

Deimos : — Un rôle. (Un temps.) Un rôle que tu joues.

Phobos : — Si je veux.

Deimos : — Si tu veux, bien sûr. Seulement si tu veux bien.

Phobos : — Un rôle.

Deimos : — Tu veux bien ? (Un temps.) Ça me ferait plaisir, tu veux bien ?

Phobos : — C'est un jeu ?

Deimos : — Absolument.

Phobos : — Tu jures ?

Deimos : — Je jure.

Phobos : — Pas de chausse-trappe, pas de…

Deimos : — Je jure.

Phobos : — Bon, alors d’accord.

Deimos : — Maman, est-ce que c'est vrai que les licornes n’existent pas.

Phobos : — Oui, je crois que c'est vrai, mon petit.

Deimos : — Tu es sûre ?

Phobos : — Je crois que tout le monde sait ça. Je crois que personne n’a jamais vu de licorne.

Deimos : — Tu es sûre ?

Phobos : — Oui, mon petit, je suis sûre. Ne t’inquiète pas.

Deimos : — Ce n’est pas que je m’inquiète, c'est que je m’informe.

Phobos : — Eh bien, te voilà informé. (Un temps.) Mon petit.

(Un temps.)

Deimos : — Mais moi, j’ai vu une licorne.

Phobos : — Ah bon ?

Deimos : — Oui.

Phobos : — Une licorne qui courait dans les champs, sans doute ?

Deimos : — Non, dans la forêt.

Phobos : — Parce que tu vas tout seul dans les forêts maintenant ? Tu ne devrais pas, mon enfant, c'est dangereux. On peut y faire de mauvaises rencontres. La preuve. (Un temps.) Tu sais, c'est assez ridicule, ce rôle.

Deimos : — Je sais. (Un temps.) Mais je ne l’ai pas rencontrée, la licorne. Je l’ai vue en photo.

Phobos : — Ah, en bien ça explique tout. Parce que, mon petit, les photos sont souvent truquées. Il ne faut jamais croire les photos, voyons.

Deimos : — Elle n’était pas truquée.

Phobos : — Qu’est-ce que tu en sais ?

Deimos : — Je le sais.

Phobos : — Prouve-le.

Deimos : — Je ne peux pas le prouver. Je n’ai pas la photo avec moi, je l’ai vue, c'est tout. Mais elle n’était pas truquée.

Phobos : — Rien n’est moins sûr.

Deimos : — Laisse tomber. La photo n’était pas truquée, je te dis.

Phobos : — Tu me le dis à moi, ou tu le dis à ta maman ?

Deimos : — À toi. Pour que tu le dises à ma maman.

Phobos : — (Fort.) Maman, la photo n’était pas truquée. (Normal.) Tu es content ?

Deimos : — Bof. (Un temps.) Donc, j’ai vu la photo d’une licorne dans une forêt. (Un temps.) À toi.

Phobos : — Mais parfaitement, mon petit. Tu as vu la photo d’une licorne. (Un temps.) Et après ?

Deimos : — Et après, tu pourrais, par exemple, mettre en doute l’interprétation de la photo.

Phobos : — OK. Mais est-ce qu’on la voyait bien, la licorne, sur ta photo ?

Deimos : — Oui.

Phobos : — Avec sa longue corne au milieu du front ?

Deimos : — Oui.

Phobos : — (Un temps.) Sa longue corne et tous ses autres attributs de licorne ? Aide-moi.

Deimos : — C'est quoi, ses autres attributs de licorne ?

Phobos : — Tu m’ennuies.

Deimos : — Maman, c'est quoi, ses autres attributs de licorne ?

Phobos : — Enfin, c'est ce que tout le monde sait, le pelage blanc…

Deimos : — La robe blanche.

Phobos : — Si tu sais mieux que moi, tu peux faire la maman à ma place.

Deimos : — Pardon.

Phobos : — La robe blanche, la crinière d’or, les effets purificateurs de sa corne quand elle la plonge dans la source empoisonnée, la douceur de son regard au moment où elle s’approche de la jeune fille pour l’embrasser, sa cavalcade mystérieuse entre les arbres, sa douleur silencieuse quand le chasseur lui perce le flanc avec sa lance.

Deimos : — Pas mal.

Phobos : — On a des lettres.

Deimos : — Je vois ça.

Phobos : — Et les effets aphrodisiaques de la corne réduite en poudre.

Deimos : — Aphrodisiaque, maman ?

Phobos : — À ce qu’on dit.

Deimos : — Qu’est-ce que c’est, aphrodisiaque, maman ?

Phobos : — Tu m’ennuies.

Deimos : — Qu’est-ce que c’est, aphrodisiaque, maman ?

Phobos : — C'est ce qui pousse à s’aimer très fort. Mais la question n’est pas là. La question que je te posais était de savoir si la licorne que tu as vue sur la photo avait bien tous les attributs de la licorne. Parce que, si ce n’était pas le cas, ça pourrait être un cheval, ou un âne, avec…

Deimos : — Ou un mulet.

Phobos : — Parfaitement, un mulet ou n’importe quel équidé ressemblant plus ou moins à une licorne et qui, on se demande bien pourquoi, se ferait passer, ou plus exactement qu’on essaierait de faire passer pour une licorne, qu’on aurait déguisé en licorne, pour une foire quelque part, ou pour un film d’époque, ou, mieux encore, qu’une illusion d’optique, une simple illusion, ferait assimiler à une licorne, parce qu’il y aurait quelque chose derrière lui, ou même devant lui, une branche d’arbre, un bâton, le bout de la lance du cavalier, bref, un objet, un reflet, quelque chose qu’au premier coup d’œil, si on n’y prend pas garde, on pourrait prendre pour une corne alors qu’en réalité il n’y a rien d’autre sur la photo qu’un cheval blanc, un simple cheval blanc, tu vois ?

Deimos : — Oui.

Phobos : — Alors ? (Un temps.) Est-ce que c’était vraiment une licorne, avec tous ses attributs.

Deimos : — Oui. (Un temps.) Enfin… sauf la crinière jaune.

Phobos : — Quelle crinière jaune ?

Deimos : — L’or n’est pas jaune ?

Phobos : — Si, l’or est jaune, évidemment. Plus ou moins jaune selon les cas, parfois assez rose. Et il y a l’or blanc aussi, et l’or gris.

Deimos : — Mais en général l’or est jaune.

Phobos : — Oui, en g…

Deimos : — Donc les crinières d’or sont jaunes, maman.

Phobos : — Oui, mon petit. Mon délicieux pet…

Deimos : — Mais la licorne que j’ai vue avait la crinière blanche.

Phobos : — Ah bon, comme c'est intéressant, mon petit.

Deimos : — C'est toi qui m’as dit qu’elle devait avoir une crinière d’or, sinon ce n’était pas une licorne.

Phobos : — Je n’ai pas dit ça.

Deimos : — Si, absolument.

Phobos : — Tu m’ennuies, à la fin.

Deimos : — (Pleure bruyamment, comme un clown imitant un enfant.)

Phobos : — C'est vraiment trop crétin, ton jeu.

Deimos : — (Continue de pleurer.)

Phobos : — C'est ça, fatigue-toi.

Deimos : — (Continue.)

Phobos : — Adieu veaux, vaches, licorne et purée. De toute façon, je ne sais pas pourquoi je me tue à jouer avec toi. Et jouer à la maman, encore. Pitié.

Deimos : — (Redouble.)

Phobos : — Pitié. (Un temps.) Pour la dernière fois :  pitié. (Un temps.) Si tu n’arrêtes pas immédiatement, je m’en vais.

Deimos : — (Continue.)

Phobos : — Tu l’auras voulu.

Deimos : — (Continue.)

Phobos : — Tu l’auras voulu ? (Un temps.) Tu l’as voulu, voilà.

Deimos : — (Continue. Puis diminue. Écoute. Diminue encore.) Tu es là ? (Reprend aussitôt.) Tu n’es plus là ? (Reprend, plus faiblement.) Tu es parti ? (Un temps.) Ma maman m’abandonne. (Un temps.) Je n’y crois pas. Il m’abandonne à la première contrariété. Me laisse tomber comme une vieille chaussette. Sans biberon, sans musette. Et pas même sur le parvis d’une église. C'est incroyable. (Un temps.) C'est incroyable et je n’y crois pas. (Fort.) Je n’y crois pas, tu m’entends ? (Un temps.) Ce n’est pas du jeu. (Un temps.) Mauvais joueur, tiens. D’ailleurs on peut parfaitement se passer de toi. (Un temps.) On peut se passer de toi.

Deimos (Deimos) : — Maman, c'est vrai qu’il n’y a pas de licornes ?

Deimos : — Pas de réponse. J’insiste.

Deimos (Deimos) : — Maman, c'est vrai qu’il n’y a pas de licornes ?

Deimos : — Elle se décide.

Deimos (Phobos) : — Bien sûr, mon cher enfant, qu’il n’y a pas de licornes.

Deimos (Deimos)  : — Tu es sûre ?

Deimos (Phobos: — Absolument.

Deimos : — Je l’appâte lentement, je pose ma question encore deux ou trois fois, et chaque fois elle confirme. Alors je ferre.

Deimos (Deimos)  : — Mais j’en ai vu une, moi. Je sais bien que tu mens.

Deimos : — Elle n’y croit pas. Elle m’explique que j’ai mal vu. Je lui affirme le contraire. Elle essaie de me piéger, elle me dit de décrire la licorne. Mais je ne suis pas fou, je connais tous les trucs, je l’embrouille, et en deux ou trois répliques c'est elle qui se retrouve en train de décrire. Et elle nous présente la licorne comme une sorte de petit cheval blanc avec une longue corne droite et torsadée au milieu du front, partiellement couchée contre une jeune femme dont on ne sait pas si elle la repousse ou si elle l’accueille, et, en face d’elle, un chasseur en cotte de mailles qui brandit sa lance encore rouge d’un sang dont on imagine que c’est celui de la licorne blessée. Elle doit avoir vu ça sur un dessin sans doute. Elle a un vague souvenir. Ça m’ennuie, ça contrarie mes plans.

Deimos (Deimos) : — Comment tu sais tout ça, toi ?

Deimos (Phobos) : — C'est qu’on a des lettres, vois-tu, mon petit.

Deimos : — Elle m’énerve à m’appeler comme ça.

Deimos (Deimos) : — Tu m’énerves, arrête de m’appeler « mon petit » sur ce ton mielleux.

Deimos (Phobos) : — C'est que je suis pleine d’amour pour toi, mon petit. Je suis ta maman, après tout.

Deimos (Deimos) : — Ça ne t’oblige pas à me parler sur ce ton.

Deimos : — Là, elle n’a plus rien à dire et nous sommes dans un cul-de-sac. (Un temps.) Et elle ne fera rien pour en sortir, je connais la chanson. Je dois reculer.

Deimos (Deimos) : — Pardonne-moi. Je ne voulais pas te blesser.

Deimos (Phobos) : — OK.

Deimos (Deimos) : — Donc, je disais, tu en sais un bout sur la licorne.

Deimos (Phobos) : — Oui. (Un temps.) Enfin, un peu comme tout le monde, pas beaucoup plus que tout le monde.

Deimos : — Elle fait sa coquette.

Deimos (Deimos) : — Mais elle n’existe pas.

Deimos (Phobos) : — Non, elle n’existe pas, je te l’ai dit vingt fois.

Deimos (Deimos) : — Et toi…

Deimos : — Lentement.

Deimos (Deimos) : — Et toi… tu sais tout sur quelque chose qui n’existe pas ?

Deimos : — Pas de réponse.

Deimos (Deimos) : — Et ça te paraît normal ? Tu en es fière ?

Deimos (Phobos) : — Tu me fatigues. Explique-moi plutôt à quoi tu veux en venir, exactement.

Deimos (Deimos) : — À rien du tout. Je veux seulement comprendre. Je te dis que j’ai vu une licorne, et toi tu me dis que c'est impossible parce qu’il n’y a pas de licornes, mais en même temps tu m’expliques mille choses sur les licornes, comme si tu en croisais des troupeaux tous les jours. Tu comprends que ça me semble un peu confus.

Deimos : — Et je pourrais ajouter : Et quel genre d’éducation est-ce que tu me donnes, là ?

Deimos (Phobos) : — Tu veux simplement que je te dise que la licorne est un animal légendaire, c'est ça ?

Deimos : — Pas de réponse de mon côté.

Deimos (Phobos) : — Et bien je te le dis, mon cher petit, bien haut et bien clair : la licorne est un animal légendaire, un mythe, une fable. La licorne n’existe pas réellement, elle est imaginaire. Tu comprends ça ? Imaginaire. Fruit des fantasmes, de la peur et de l’ignorance.

Deimos (Deimos) : — Et de leur répétition.

Deimos (Phobos) : — Si on veut.

Deimos (Deimos) : — De la propagation de l’ignorance, de sa multiplication. Et tu trouves ça normal ? Et tu t’y associes.

Deimos (Phobos) : — Ah, mon pauvre petit, tu dois malheureusement être informé des errances de l’espèce humaine. Et de ses égarements. Souvent terribles. Ça fait partie du bagage nécessaire. Connaître le passé. Le long chemin parcouru. Ses impasses comme ses avenues.

Deimos (Deimos) : — La licorne est une impasse ?

Deimos (Phobos) : — En quelque sorte. Mais elle a son charme tout de même, sa poésie. Peut-être à cause de ça.

Deimos (Deimos) : — Je ne comprends pas, maman.

Deimos (Phobos) : — Rien d’important, mon petit. Je disais seulement qu’il y avait de la poésie à rêver des choses qui n’existent pas. Même si elles ne mènent à rien. Sauf à un peu de plaisir parfois.

Deimos : — Et là, il faut que je l’arrête, et je pars sur autre chose.

Deimos (Deimos) : — Et la jeune fille, alors.

Deimos (Phobos) : — Quelle jeune fille ?

Deimos (Deimos) : — Celle qui accueille la licorne ?

Deimos (Phobos) : — Oui, qu’est-ce que tu veux savoir sur la jeune fille ?

Deimos (Deimos) : — Tout. Pourquoi elle accueille la licorne.

Deimos (Phobos) : — Je ne suis pas très sûre. Mais je crois que l’histoire c'est que la licorne blessée par le chasseur vient chercher refuge et protection dans les bras d’une jeune fille, et que là, elle meurt en chantant doucement.

Deimos (Deimos) : — Et la jeune fille caresse sa crinière d’or.

Deimos (Phobos) : — Délicatement.

Deimos (Deimos) : — Pour essayer de la guérir.

Deimos (Phobos) : — Sans succès.

Deimos (Deimos) : — Pour la rassurer aux portes de l’abîme.

Deimos (Phobos) : — Sans succès.

Deimos (Deimos) : — La tête douloureusement inclinée vers ses lèvres exsangues d’où s’élève en notes cristallines la mélodie de l’adieu.

Deimos (Phobos) : — Dans le crépuscule hypnotique d’un jour encore tiède.

Deimos (Deimos) : — Dans l’absence qui se crée.

Deimos (Phobos) : — Dans l’épuisement qui supplante l’espoir.

Deimos (Deimos) : — Les doigts effilés, généreux et tristes, glissant impuissants sur les cheveux blonds de l’animal.

Phobos : — Sauf que la crinière de la licorne est blanche, comme sa robe.

Deimos : — Ah, te voilà, toi.

Phobos : — Merci de l’accueil.

Deimos (Phobos) : — Impuissants parce que rien ne peut sauver la licorne.

Phobos : — Tu en es toujours là ?

Deimos (Phobos) : — Et elles restent serrées l’une contre l’autre pendant que s’affaiblit lentement le chant de la licorne.

Deimos (Deimos) : — Mais les licornes ne chantent pas.

Deimos (Phobos) : — Ah ? Oui. Tu as raison. Presque raison. Ce qui se passe, c'est qu’on n’entend pas le chant des licornes, on ne sait pas l’entendre.

Phobos : — Tu en es toujours là.

Deimos : — Toujours, comme tu dis.

Phobos : — Écoute, je voudrais te…

Deimos : — Attends.

Deimos (Phobos) : — Car, de la même manière que seuls peuvent voir la licorne les yeux qui savent la deviner, seules peuvent entendre son chant les âmes qui savent périr.

Deimos (Deimos) : — C'est ça, le secret ?

Deimos (Phobos) : — C'est ça.

Deimos (Deimos) : — Et c'est pour ça que je la vois où tu ne la vois pas ?

Deimos (Phobos) : — Ça se pourrait.

Phobos : — Enfin, ça dépend de ce qu’il y a sur la photo.

Deimos (Phobos) : — Tout est possible hors du réel.

Phobos : — Effectivement. Bravo.

Deimos (Phobos) : — Et sur ta photo, qu’est-ce qu’on voit ?

Deimos (Deimos) : — Une licorne dans une forêt.

Phobos : — Une licorne toute seule ?

Deimos : — Oui.

Phobos : — Sans le chasseur et sans la jeune fille ?

Deimos : — Sans personne, seule sous les arbres, qui passe entre les arbres. Derrière les arbres et devant les arbres.

Phobos : — Et qui ne chante pas, alors ?

Deimos : — Non, bien sûr que non. (Un temps.) Enfin, on n’en sait rien : c'est une photo.

Phobos : — Montre-la-moi, mon petit.

Deimos : — Non.

Phobos : — Allez.

Deimos : — Jamais.

Phobos : — Pourquoi pas ?

Deimos : — Parce que ça ne te regarde pas.

Phobos : — Parce qu’il n’y a pas de licornes, c'est ça ?

Deimos (Phobos) : — Parce qu’il n’y a pas de licornes, c'est ça ?

Deimos (Deimos) : — Tu viens de me dire que tu ne pourrais pas la voir, de toute façon.

Phobos : — Je n’ai pas dit ça.

Deimos (Phobos) : — (En même temps.) Surtout si tu ne me montres pas la photo, mon petit.

Phobos : — C'est vrai. Alors montre-la, ta photo, et qu’on n’en parle plus.

Deimos : — Mais ce n’est pas ça, le jeu.

Phobos : — Ah bon ? Et pourquoi pas ?

Deimos : — Parce que le jeu, c'est que tu trouves ce qu’il y a sur la photo. Ma chère maman.

Phobos : — C'est à ça qu’on joue ?

Deimos : — Évidemment.

Phobos : — Tu aurais pu le dire.

Deimos : — Je ne l’ai pas dit ? Ça m’étonne. D’habitude…

Phobos : — N’exagère pas, veux-tu.

Deimos : — D’habitude…

Phobos : — Tu ne l’as pas dit, point.

Deimos : — Bon. Admettons. Eh bien maintenant je l’ai dit, tu es content ? On peut jouer ?

Phobos : — (Soupire.)

Deimos : — Tu tiendras honorablement ton rôle.

Phobos : — Tu y tiens vraiment ?

Deimos : — Pour me faire plaisir.

Phobos : — Je ne vois pas quel plaisir tu peux y trouver.

Deimos : — C'est mon problème. On commence ? (Un temps.) Prêt. (Un temps.) Bon. Maman, c'est vrai qu’il n’y a pas de licornes ?

Phobos : — (Soupire.) Ah non. Ah oui. Oui, oui. C'est tout à fait vrai.

 

 

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